Deux sénateurs, membres de la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS), préconisent dans un rapport une évaluation globale du dispositif d’aide à l’installation et de lutte contre les déserts médicaux. Le patron des Généralistes de la CSMF applaudit et commente, parmi les 19 propositions des rapporteurs, celles qui lui semblent les plus prometteuses et efficaces.

 

Des rapports sur la démographie médicale et l’accès aux soins dans les territoires, il y en a eu quelques-uns déjà, depuis que le concept de désert médical est entré dans le langage commun, succédant à la phase de pléthore médicale, subie par les plus anciens. Mais un travail récent sort du lot, souligne le Dr Luc Duquesnel, le président des Généralistes de la CSMF. Il s’agit du rapport sénatorial de Jean-Noël Cardoux (Les Républicains) et Yves Daudigny (Socialiste et Républicain) tous deux membres de la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS). Pourquoi ce travail sur l’accès aux soins se différencie-t-il des autres comptes-rendus parlementaires, régulièrement pondus sur le sujet ? Parce qu’il s’éloigne des sentiers battus et ne reprend pas en guise de mantra, “les sempiternelles recettes d’une augmentation du numerus clausus assortie d’une limitation de la liberté d’installation”, tacle Luc Duquesnel.

De fait, c’est à partir des discussions autour du projet de loi de financement de la sécurité sociale de 2016 où plusieurs parlementaires avaient déposé un amendement visant à imposer notamment un conventionnement sélectif dans les zones surdotées (propositions refusées par l’ensemble des commissaires de la commission des Affaires sociales), que la proposition de faire intervenir la MECSS pour évaluer le dispositif existant, a été validée. Les deux sénateurs se sont donc mis au travail et viennent de remettre, cet été, un épais document assorti d’une note de synthèse, reprenant l’état des lieux constaté et avançant 19 propositions pour traverser la crise (voir en encadré).

Construit autour du constat bien connu, selon lequel les professionnels de santé sont nombreux mais inégalement répartis, les deux rapporteurs posent d’emblée que les inégalités de répartition des professionnels du soin “sont le reflet de fractures territoriales qui dépassent le seul champ de la politique de santé”. Interrogé par Egora.fr à la mi-août, Yves Daudigny n’y est pas allé par quatre chemins pour brocarder les carences de l’Etat stratège.

Il existe aujourd’hui un foisonnement et une superposition de mesures d’origines diverses et variées, selon les territoires. Ces mesures sont mises en place soit par l’Etat, l’Assurance maladie, les collectivités territoriales ou même les professionnels de santé. Nous constatons une absence de stratégie globale et de coordination de ces mesures entre les territoires. Aucune évaluation globale n’a jamais été réalisée sur les mesures mises en place.” a-t-il critiqué. L’élu de l’Aisne ajoute que cela ne signifie pas pour autant que les mesures soient inefficaces. “Pour la plupart, nous demandons de les reconduire, de les améliorer voire de les approfondir. Mais la majorité ne répondent pas complétement au sujet de ce qu’on appelle aujourd’hui les déserts médicaux ». Les rapporteurs plaident pour la mise en place d’une “palette d’outils à mobiliser plus efficacement”, sachant que la solution miracle n’existe pas. Une proposition d’évaluation qui convient parfaitement au président des Généralistes-CSMF.

Cette notion d’évaluation du dispositif en place est fondamentale, nous la demandons depuis longtemps car on peut vraiment parler de puzzle, relève Luc Duquesnel. On peut observer que, dans des certains endroits, certaines dispositions marchent alors que cela ne fonctionne absolument pas ailleurs. L’assurance maladie a fait une évaluation nationale de l’efficacité des dispositifs conventionnels mais il n’y a rien de global, ni de régional. A défaut d’évaluation, on peut vraiment craindre que de l’argent soit jeté par les fenêtres”…

Parmi les 19 propositions, le patron des Généralistes de la Conf’ en retient particulièrement quelques-unes, comme la mise en place d’un “véritable” guichet unique auprès des ARS (Proposition 3) qui informerait les professionnels de toutes les aides pouvant leur être proposées ou encore (Proposition 4), le recours aux statuts intermédiaires, tels l’assistant libéral ou le collaborateur libéral, pour favoriser l’accès progressif à l’installation libérale. “C’est une bonne idée de vouloir mettre des étapes entre le remplacement et l’installation car les marches peuvent être trop hautes et rebuter les candidats, constate Luc Duquesnel. Un assistant libéral peut ne pas être thésé, cette solution permet au médecin d’avoir un remplaçant qui peut travailler en même temps que lui. C’est un vrai plus, une piste très intéressante pour pouvoir prendre plus de patients en charge », remarque-t-il, alors que la possibilité de salarier un confrère ne rencontre pas de succès, du fait du poids des charges.

Autre proposition sénatoriale qui fait tilt auprès des Généralistes de la CSMF : la revalorisation de l’indemnité compensatrice (proposition16) des maîtres de stages dans les zones de sous-densité médicale. “Ce serait reconnaître cette fonction, le travail qu’elle demande, surtout dans les zones sous-dotées », souligne Luc Duquesnel pour qui la proposition “efficace le plus rapidement, concerne l’allègement des charges des retraités qui veulent continuer à travailler, puisqu’ils sont déjà en place. Cela permettrait un passage de témoin en douceur ».

Cette proposition 7 préconise en effet de rendre plus attractif le cumul emploi retraite dans les zones sous-dotées, par le biais de la suppression de la cotisation retraite qui d’ailleurs ne donne aucun point aux cotisants. “Certains confrères seraient intéressés par le cumul emploi retraite, sur un temps partiel. Mais ils ne le font pas car il faut travailler beaucoup, pour que cela soit rentable. Supprimer l’obligation de cotiser à la CARMF pourrait rendre l’opération plus intéressante rapidement”, commente le Dr Duquesnel, en imaginant également que le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) pourrait faire un geste sur les cotisations des retraités en cumul. Après tout, rien n’empêche de rêver.

 

Les 19 propositions des sénateurs :

  1. Confier aux ARS la mission de recenser l’ensemble des dispositifs existants au niveau des territoires de proximité ; associer les professionnels de santé et les élus locaux au suivi régulier et à l’évaluation des initiatives mises en place,
  2. Renforcer les moyens d’action des ARS par une plus forte modulation des crédits du fonds d’intervention régional (FIR) en tenant compte des besoins des territoires déficitaires en offre de soins,
  3. Généraliser de véritables « guichets uniques » auprès des ARS, pour informer les professionnels sur toutes les aides et les accompagner dans l’ensemble des démarches,
  4. Simplifier et valoriser le recours aux statuts intermédiaires comme celui d’adjoint ou de collaborateur, susceptibles de favoriser l’accès progressif à l’installation libérale,
  5. Donner une reconnaissance conventionnelle au médecin remplaçant,
  6. Développer l’exercice mixte en allégeant les charges sociales sur l’activité libérale des médecins salariés,
  7. Rendre plus attractif le cumul emploi-retraite dans les zones sous-dotées par la suppression de la cotisation de retraite,
  8. Poursuivre les réflexions sur l’amélioration de la protection sociale des professionnels libéraux, notamment pour abaisser le délai de carence en cas de maladie,
  9. Créer des « cellules d’appui à l’ingénierie de projet » au sein des ARS pour assister les porteurs de projet en vue de réduire sensiblement les délais de réalisation,
  10. Accompagner la structuration des maisons de santé encore non éligibles aux financements de l’assurance maladie (appui juridique, soutien à l’acquisition d’un système d’information partagé, aide à la coordination du travail en équipe…),
  11. Aider à la structuration de réseaux de professionnels de santé,
  12. Favoriser le développement des coopérations entre professionnels de santé par la définition, dans un cadre interprofessionnel, d’un régime de financement incitatif,
  13. Inscrire le financement des actes de télémédecine (téléconsultation, téléexpertise) dans le cadre tarifaire de droit commun de l’assurance maladie,
  14. Évaluer l’impact économique et thérapeutique du recours à la télémédecine dans les parcours de soins, notamment en termes d’amélioration de l’accès à des soins de qualité dans les zones sous-dotées,
  15. Former les professionnels de santé à l’usage de la télémédecine et les accompagner dans l’équipement en matériel et logiciels adaptés,
  16. Engager une campagne de recrutement de maîtres de stage dans les zones sous dotées et revaloriser le montant de l’indemnité compensatrice,
  17. Généraliser le stage ambulatoire de médecine générale au cours de l’externat et en allonger la durée,
  18. Introduire dans la formation initiale une préparation concrète aux différents modes d’exercice de la médecine de ville,
  19. Assouplir les conditions d’agrément des lieux de stage hors de la subdivision de rattachement, pour répondre aux besoins de territoires situés dans des zones « frontières ».

 

Lire la note de synthèse : Accès aux soins : promouvoir l’innovation en santé dans les territoires. MECSS.