La France est le seul pays où les étudiants peuvent accéder à l’internat, même avec 0 de moyenne aux ECN. Des collés en PACES, partis à l’étranger, peuvent même revenir et accéder au troisième cycle sans avoir les acquis nécessaires. Ils seraient plus de 300 chaque année. Un système inéquitable et dangereux, estime le Pr Jacques Bringer, de l’Académie de médecine, qui plaide pour la mise en place de toute urgence d’un certificat de compétences cliniques en fin de deuxième cycle.

 

Egora.fr : Vous appelez à la mise en place d’un dispositif de contrôle des acquis des étudiants en fin d’externat… En quoi cela consisterait ?

Pr Jacques Bringer : Il ne s’agit pas d’un contrôle, mais d’un certificat de compétences cliniques et pratiques. A la fin du deuxième cycle et avant d’avoir les responsabilités auprès des malades que confère l’examen classant national, il faut s’assurer de l’acquisition d’un socle de compétences cliniques. Ce certificat valide des acquis qui peuvent toucher à la prise de décision une fois qu’on a les compétences requises, à certaines habiletés ou certaines façons d’aborder le patient, et à un mode de raisonnement compatible avec la fonction.

Ce certificat de compétences cliniques existe-t-il déjà aujourd’hui ?

Oui, il y a en France, à la fin du deuxième cycle, un examen qui valide ça. Mais il n’est pas absolument indispensable pour passer l’examen classant. Je rappelle que cet examen ne sélectionne pas du tout. Il sélectionne l’endroit où l’on va, le choix de la spécialité mais on peut être reçu avec 0. Il ne vérifie pas du tout les compétences. Nous appelons donc à le rendre obligatoire, quelle que soit la fac. Aujourd’hui, il y a des facs qui le font passer, certaines y attribuent une valeur particulière, d’autres pas de valeur. Il faut le valoriser et le rendre obligatoire. Il faut le faire par respect pour les responsabilités que les étudiants vont exercer, mais aussi parce qu’aujourd’hui nous n’avons plus aucun contrôle et nous sommes dans l’inéquité totale.

Pour quelle raison parlez-vous d’inéquité ?

On est doublement inéquitables. On est inéquitables parce que des étudiants qui ont été collés à l’examen de première année d’entrée en médecine, et qui partent dans un autre pays européen en payant très cher, reviennent par l’examen classant national, même avec 3 de moyenne. Autrement dit, on a collé des étudiants à 14 de moyenne en PACES, mais ceux qui ont eu 7 ou 8 de moyenne, qui sont partis en Roumanie parce qu’ils ont des parents qui peuvent payer, reviennent passer l’ECN.

Le deuxième élément, c’est que finalement, tout candidat européen, quel que soit son niveau, peut intégrer la France pour exercer. On est le seul pays au monde à permettre d’intégrer le troisième cycle avec un 0 à l’examen. Les autres pays ont un examen à l’université, qui est le même pour tous les étudiants, avec un contrôle sur les compétences des candidats. Et s’ils n’ont pas la moyenne, ils n’intègrent pas l’université. En France, nous n’avons plus de contrôle. Chacun peut rentrer comme bon lui semble, et de ce fait il n’y a plus de numerus clausus, puisqu’on met autant de postes qu’il faut pour tous les étudiants qui présentent le concours. Tant qu’il n’y avait que quelques étudiants qui avaient compris ce système, ça restait anecdotique, mais à partir du moment où on s’y engouffre, ce n’est pas admissible.

Quels problèmes posent aujourd’hui ces étudiants qui ne sont pas au niveau ?

Ils posent deux types de problèmes. Quand ils ne parlent pas français, il faut qu’ils aillent un an ou deux apprendre le français pour parler à un patient. Les hôpitaux payent donc des internes, en formation de français, qui ne sont pas internes. Voilà. Deuxièmement, on aggrave l’inéquité des soins dans le pays. Comme ces étudiants ont une mauvaise note, ils vont vers des zones à faible démographie médicale, qui ne sont pas les plus attractives. Ces étudiants sont à la charge d’établissements qui ont déjà des problèmes de démographie médicale. Les personnes soignées dans ces hôpitaux vont avoir des internes qui ne parlent pas français ou qui ne sont pas compétents, ou les deux.

Que font les chefs de services qui reçoivent ces internes ?

Ils s’en plaignent et les mettent dans un placard, pour ainsi dire. Ils regardent, comme des étudiants de deuxième année de médecine. Ça serait dangereux, vu les responsabilités des internes, de lâcher ces gens et de les laisser soigner. Ce serait terrible.

Combien sont ces étudiants qui posent problème ?

Ils étaient 230 en 2014, 300 en 2015… et ce nombre continue d’augmenter.

Que pensez-vous d’une note éliminatoire aux ECN ?

Ce serait déjà mieux. Mais ça ne résout pas tous les problèmes, notamment celui du français. Et à quel seuil mettre la note éliminatoire ? Quand on fait passer l’ECN à un enfant de 5 ans, il aura par les aléas des réponses, plus de 6 de moyenne. Alors ? Où placer la note éliminatoire ? Et je crois qu’il est beaucoup plus judicieux d’appliquer ce que les autres universités européennes appliquent, c’est-à-dire que l’on contrôle les connaissances de la même manière pour toute l’Europe.

Que répondent les autorités que vous alertez ?

Depuis des années, on nous répond qu’il y a un problème juridique. Franchement, dans toutes les universités européennes ils font ça. La recevabilité du problème juridique, elle tient à quelques hauts fonctionnaires qui ne voient pas l’importance de ce qu’il se passe. Le problème juridique est un alibi. Je ne sais pas quelle est la vraie raison. Il y a un immobilisme sur ce sujet, et une machine administrative qui n’a pas envie de bouger. Ça finira par bouger, mais il faut se battre pour rétablir une équité qui est évidente. Et ça crée du populisme. Les centaines, les milliers de familles d’étudiants collés avec moins de 14 de moyenne sont révoltées. On peut créer un populisme à son insu, en appliquant des règles qui ne pensent pas ce qu’elles font. Quand on finit par ne pas penser ce que l’on fait, on créé des désastres.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier

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