Lors du grand oral des candidats organisé par la Mutualité Française, mardi 21 février, François Fillon (Les républicains) a dévoilé les grandes lignes de son projet santé “rebâti, enrichi, amélioré”. A ses côtés, Emmanuel Macron (En Marche), Benoit Hamon (La Belle Alliance populaire), Yannick Jadot (Eelv) et Nicolas Dupont-Aignan se sont partagés la tribune. On a regretté l’absence notable de Jean-Luc Mélanchon (La France insoumise) et Marine Le Pen (Front national).

 

François Fillon était le plus attendu d’entre eux car la première version de son projet santé (à partir duquel il a gagné le rôle de challenger de l’opposition) a fait un crash. Il prévoyait de limiter le remboursement de l’assurance maladie aux “gros risques” en délégant le remboursement du “petit risque” aux assurances complémentaires, révolution qui avait suscité un tel tollé, y compris dans les propres rangs de l’opposition, qu’il avait dû le retirer à la hâte. Depuis, il a entamé en urgence une série de consultations auprès d’experts et professionnels de santé, sous la houlette de Jean Leonetti et Hervé Gaymard, deux parlementaires respectivement “père” de la loi sur la fin de vie et ex secrétaire d’Etat à la santé. Son projet était donc particulièrement attendu, alors que les “affaires” sont venues brouiller les cartes.

C’est Emmanuel Macron qui a ouvert le grand oral. Des pans importants de son programme avaient déjà été dévoilés, à commencer par sa mesure phare “copiée par tout le monde” a-t-il ironisé, d’une prise en charge à 100 % d’ici 2022, des lunettes et des prothèses dentaires et auditives. L’ancien Ministre de l’Economie préconise desupprimer 3,1 point de cotisation salariale et de les transférer vers 1,7 point de CSG, “afin de créer du financement chez ceux qui travaillent”. L’Ondam serait fixé à 2,3 %, mais il faudrait réaliser 15 milliards d’économies sur les réformes structurelles. Il envisage un investissement de 5 milliards pour soutenir l’innovation en santé, technique et organisationnelle… Emmanuel Macron promet encore qu’il n’y aura aucun déremboursement si le soin évalué est jugé utile et efficace par la Haute autorité de Santé.

Le candidat ni de droite ni de gauche, imagine un tiers-payant non généralisé, mais généralisable, garantit le maintien de la liberté d’installation. Et pour la complémentaire santé, préconise l’instauration obligatoire de trois contrats type, qui permettront au patient de se déterminer en toute transparence des couts, la concurrence tendant à la baisse des prix, estime-t-il. “Cela va mettre la pression sur les complémentaires pour avoir des contrats plus compétitifs, ce qui pourra se traduire par une baisse de marge des assurances et des mutuelles. Je l’assume totalement“, a-t-il assuré à la Mutualité.

S’agissant de la lutte contre les déserts médicaux, le candidat veut multiplier par deux le nombre de maisons médicales pour arriver à 2 000, ce qui permettrait de limiter le recours à l’hôpital, “qui coute cher“, et de mieux organiser le parcours de soins entre l’hôpital et la ville. Il veut décloisonner le système de soins “verrouillé” en donnant plus d’autonomie aux acteurs de terrain. Enfin, Emmanuel Macron – comme tous les autres candidats – veut donner plus de place à la prévention et envisage pour cela, de demander aux futurs médecins d’aller porter la bonne parole sur le terrain, durant leur cursus médical.

Changement de pied, avec Nicolas Dupont-Aignan. Car ce candidat libre qui se revendique du gaullisme veut augmenter l’Ondam jusqu’ à 2,5 ou 3 %, élément de la politique de relance qu’il veut conduire. Il veut ainsi relancer la dépense de la Sécurité sociale, augmenter le numerus clausus à 10 000 par an et restreindre l’arrivée de médecins étrangers sur notre sol, exonérer de charges sociales les médecins qui s’installent en zones sous dense et augmenter la consultation à 35 euros “ce qui permettra de lutter contre le secteur 2″. Il supprime évidemment le tiers payant.

Le candidat veut aussi rembourser lunettes et prothèses à 100 % et réunir des Etats Généraux de la santé, dans l’idée de construire un régime unique de sécurité sociale. Comment ? “En créant de la richesse et en produisant en France” pour “remettre la France dans une dynamique de croissance”.

Nicolas Dupont-Aignan veut également lutter contre la fraude, supprimer l’AME et installer à la place, “des dispensaires au cas par cas”.

Benoît Hamon, PS, très écologiste, veut mettre en place une grande politique de santé publique basée sur la prévention, la lutte contre les addictions, la promotion d’une alimentation équilibrée, la lutte contre les perturbateurs endocriniens et les pesticides et la suppression du diésel.

Le candidat veut instaurer une sécurité sociale universelle, qui permettra l’intégration des patients relevant de la CMUc et de l’AME, et le remboursement des prescriptions de sport pour les patients en ALD. Il veut reconnaître le burn out, comme maladie professionnelle.

En médecine de ville, il affiche l’intention de déconventionner les médecins qui veulent s’installer en zone dotées “comme pour les pharmacies ou les kinés“, mais aussi de faciliter l’installation et mettre en place des aides à l’emploi du conjoint. Pour réduire l’engorgement des urgences, Benoît Hamon veut développer “des systèmes de permanence des MG en lien avec les hôpitaux, dans des lieux dédiés, pour des consultations classiques“.

Benoît Hamon envisage également la mise en place d’une licence d’office pour les médicaments coûteux (qui permet de génériquer immédiatement la molécule trop onéreuse), et veut revoir le financement de l’hôpital, en modulant l’usage de la T2A.

Encore plus radical dans cette direction, l’écologiste Yannick Jadot a rendu hommage au mouvement mutualiste et à la démocratie participative. Il veut pousser les feux de la médecine du travail, de la prévention (investissement de 10 % des dépenses de santé), mettre en place un nouveau mode de régulation “entre l’assurance maladie, les professionnels de santé et les complémentaires“, pour réguler notamment, les dépassements d’honoraires qui parfois “relèvent d’une rente“. Il faut également “mettre les assurés dans l’organisation du parcours de soins” et promouvoir les maisons de santé “sans forcément qu’il y ait un médecin, mais des infirmiers qui peuvent orienter vers un médecin ou un hôpital“. Yannick Jadot veut flécher les installations, en laissant la main à l’organisation locale. Et supprimer à terme le paiement à l’acte.

Enfin, François Fillon a dévoilé son projet remanié, qui “consolide le caractère obligatoire et universel de l’Assurance maladie, dont le niveau de prise en charge des dépenses de santé ne diminuera pas”, affirme-t-il. Se défendant d’avoir “voulu mettre en place une santé à plusieurs vitesses”, le vainqueur de la primaire de la droite et du centre, affirme dans « Le Parisien », avoir simplement posé la “question légitime” de la répartition des gros et petits risques entre l’Assurance maladie et les organismes complémentaires santé.

“J’ai voulu placer la santé au cœur de mon projet : cela m’a valu d’être présenté comme le faux nez des assurances santé”, a-t-il taclé à la Mutualité. Enfilant un gant de velours sur sa main de fer, le candidat de la Droite pose l’objectif d’“un reste à charge 0 pour les audioprothèses, l’optique, les prothèses dentaires et les dépassements d’honoraires” d’ici à la fin du quinquennat. Dès 2017, il s’engage à prendre en charge à 100% les lunettes pour enfants. L’intérêt des assurés, placés en tête de l’argumentaire suffira-t-il pour stopper la chute du candidat dans les sondages, et le désamour populaire lié aux “affaires ” ?

L’équilibre des comptes n’en disparaît pas, loin s’en faut. Ainsi, François Fillon s’engage-t-il à mettre en place une “Agence de garantie de la couverture solidaire des dépenses de santé”, composée de représentants de l’Etat, de l’Assurance maladie, des complémentaires et des professions de santé. Elle aura la mission de veiller à la maitrise des frais de gestion, à la clarté des contrats, à la qualité des prestations et à l’évolution des niveaux de remboursement.

La “hausse des cotisations” sera “maîtrisée” grâce aux économies générées par “une meilleure cohérence” entre Assurance maladie et complémentaires, a précisé le candidat ajoutant : “Peut-être faudra-t-il aussi que les complémentaires santé mettent la main à la poche” ?

Mais le candidat ne varie pas d’un iota de son objectif de redressement des comptes : “Nous dégagerons 20 milliards d’économies sur le quinquennat pour compenser la hausse naturelle des dépenses”, confirme-t-il. Tout en rassurant l’hôpital, précisant que s’il met “sur la table” le sujet de la diminution de la dépense publique, il n’est pas question de baisser les effectifs médicaux et soignants. “Dans le domaine de la santé, le non-remplacement d’agents publics concernera les emplois administratifs”, promet-il. Il reste ferme sur son objectif de suppression de 500 000 fonctionnaires sur 5 ans.

François Fillon annonce également l’instauration “d’une consultation de prévention longue et gratuite, tous les deux ans, pour tous les Français, assurée par les médecins généralistes qui seront rémunérés en conséquence”.

Pour lutter contre la désertification médicale, l’ancien Premier Ministre adaptera “le numerus clausus pour tenir compte des besoins dans chaque territoire”. “Il faut aussi améliorer les incitations financières et faciliter la création de maisons de santé pluridisciplinaires”. Le candidat permettra également “le remboursement des téléconsultations”. Il a également évoqué son intention de revenir sur le tiers payant généralisé : “quand on n’a plus de visibilité sur le coût des soins, on ne va pas dans le bon sens”, estime-t-il. “Et il y a la question de la charge administrative. Là, on augmente la charge, sans consensus avec les professionnels”.

A l’hôpital, “le retour progressif aux 39 heures sera négocié au niveau local” pour “dégager du temps”. 39 heures payées 35 ? Aujourd’hui, François Fillon se garde de répondre positivement à cette question explosive, qu’il n’avait pourtant pas évitée, lors de la campagne pour la Primaire. Pour lutter contre l’absentéisme dans la Fonction publique, il compte d’ailleurs rétablir un jour de carence.

Le candidat LR revient enfin sur les soupçons de conflits d’intérêts avec AXA qui pèsent sur lui, depuis que Le Canard enchaîné a révélé les sommes perçues par l’intermédiaire de sa société, pour des études commanditées par l’assureur privé. “On est dans le délire total”, assène-t-il dans Le Parisien. “Je n’ai jamais travaillé pour Axa sur les questions touchant la santé. J’ai effectué une mission sur le financement des investissements à long terme”, précise-t-il, énervé.