Parce que les médecins ne tombent pas moins malade que les autres, mais qu’ils négligent plus leur santé, le Collège français des anesthésistes-réanimateurs a décidé de lancer une campagne de communication intitulée “Dis doc’, t’as ton doc’ ?” L’objectif est d’inciter les praticiens à se faire suivre par un médecin traitant, ce qui n’est très souvent pas le cas. Le Dr Max-André Doppia à l’origine de la Commission santé des médecins anesthésistes-réanimateurs au travail nous parle de son projet.
 

 

Egora.fr : Qu’est-ce que “Dis doc’, t’as ton doc’ ?” ?

Dr Max-André Doppia : Il s’agit d’acter le fait que la grande majorité des médecins et internes qui exercent en France n’ont pas de suivi médical approprié. On passe notre temps à soigner les autres, sans être soigné soi-même. C’est culturel. Le docteur sait tout, y compris se soigner lui-même, faire ses diagnostics, s’auto-traiter, auto-évaluer sa santé… Tout cela n’est pas normal. Il y a des circonstances où le médecin est dans une grande négligence vis-à-vis de ses propres signaux d’altération de la santé. Je pense à des douleurs chroniques, des insomnies, de trop fortes consommations d’alcool ou de tabac par exemple. En tant que juge et partie, le médecin ne peut pas s’en sortir. Parfois les problèmes se résolvent à l’issue de situations aiguës comme un infarctus ou un AVC par exemple. Le médecin peut aussi accumuler les erreurs parce qu’il est fatigué, qu’il consomme des anxiolytiques, parce qu’il est stressé… Petit à petit c’est un enfermement. Du coup on va voir un confrère qui est un copain et qui ne nous regarde pas comme si nous étions un patient… Très souvent, le médecin est comme le cordonnier, il est le plus mal chaussé. C’est une culture qui est dépassée et qui peut nous amener à avoir des complications pour nous même ou pour nos patients. On ne soigne bien les autres que lorsque l’on est bien soigné soi-même. Par exemple un médecin qui n’identifierait pas ses problèmes de surdité, n’entendrait pas certains signaux de ses patients. Petit à petit le médecin va s’habituer à ses symptômes et mettre le doigt dans un engrenage.

Quelle est la proportion des praticiens qui ont un médecin traitant ?

Il y a quelques années, j’avais trouvé le chiffre selon lequel 80 % des médecins n’avaient pas de généralistes. J’attends de la part de l’assurance-maladie, l’actualisation de ce chiffre. Dans ma pratique de terrain, quand je demande à mes confrères s’ils ont un médecin traitant, la très grande majorité me répond non. Quand on demande aux internes et aux chefs de clinique, ils répondent qu’ils sont en très bonne santé et qu’ils n’en ont pas besoin. 

L’idée c’est de dire aux médecins qu’ils sont comme tout le monde sauf qu’ils sont plus exposés que les autres aux problèmes de santé, et notamment de santé mentale et cardio-vasculaire pour certaines spécialités. C’est donc bien qu’ils aient un suivi, comme n’importe quel patient.

Nous ne voulons pas les obliger à avoir un médecin traitant mais au moins leur rappeler dès leur plus jeune âge et à chaque étape de leur parcours professionnel. A force, il sera possible de changer cette approche culturelle et on pourra espérer que les médecins comprennent qu’ils sont comme tout le monde et qu’ils ont besoin de se soigner.

Quelles mesures concrètes proposez-vous ?

Nous voulons faire les choses en deux temps. Il faut d’abord que la profession médicale s’accorde sur cette idée d’avoir ou non un médecin traitant. 

A partir du moment où l’ensemble de la profession considérera qu’il s’agit en effet d’un beau projet, il faudra essayer de le porter avec les moyens nécessaires. Cela pourrait être des adaptations réglementaires mineures qui consisteraient à rajouter une case à cocher en plus dans la liste des papiers que les médecins ont à remplir. Ils s’engageraient à avoir un médecin traitant. Il n’y aurait pas de contrôle, mais cela serait un moyen d’être sûr qu’ils ont pris connaissance du message, puisqu’ils seraient obligés de cocher la case. Je pense qu’il faudrait instaurer ça dès les études de médecine.

Peut-être que dans 15 ans, la culture aura changé et il sera naturel pour les médecins de dire qu’ils ont un médecin traitant.

Ne faudrait-il pas imposer une visite médicale ?

Je pense que la coercition dans ce domaine n’est pas payante. En revanche, construire un changement culturel demande plus de temps mais à plus de chances de réussir. Il faut donc faire de la pédagogie.

Quand une génération d’étudiants aura été confrontée à la question “avez-vous un médecin traitant”, l’idée s’installera dans les esprits. Le virage culturel est tel qu’il ne peut être imposé. Le risque est de braquer l’ensemble du corps médical.

Je m’intéresse à ces questions depuis 1998 et depuis 2009, je suis président de la commission SMART (santé des médecins anesthésistes-réanimateurs au travail). Cette commission a été créée en 2009, à l’occasion du suicide de 3 confrères anesthésistes en Alsace en 15 jours.

Dans les années 2000, quand j’ai commencé à parler du burn-out, personne ne savait ce que c’était. On me disait que cela ne pouvait pas concerner les médecins. Aujourd’hui à lire les articles, ils en souffriraient presque tous. Parler de ces questions de santé au travail et de détresse psychologique des médecins était impossible avant. Ca a mis 15 ans à devenir possible.

Les médecins ont été éduqués depuis qu’ils sont à la fac à renoncer à leurs propres signaux intérieurs comme la faim, le sommeil ou la soif.

Il faudrait donc changer la manière d’enseigner la médecine ?

Oui et c’est tout l’objet de mon engagement au Collège d’anesthésie sur ce segment de réflexion. La culture médicale doit changer et comprendre l’endurance parce c’est un métier difficile, mais aussi l’apprentissage des risques pour la santé. Les étudiants doivent être avertis qu’ils ne doivent pas donner toute leur vie à la médecine. Il faut aussi en garder pour soi. Ainsi, les médecins futurs seront mieux armés pour s’occuper de leur santé. Les risques professionnels se traitent essentiellement en prévention. Dans leur inconscient, les médecins sont au-dessus des risques. Ils doivent supporter ce que d’autres ne supporteraient pas. Du coup ils ne se protègent pas. C’est comme une forme de toute puissance.

Il y a désormais une prise de conscience sur le fait que les médecins sont comme les autres et qu’ils ont le droit de se préserver. Lorsque l’on regarde les faits, on s’aperçoit qu’il y autant de dépression chez les médecins que dans la population générales. Par contre les médecins se suicident deux fois plus. Pourquoi plus de suicides alors qu’il y a autant de dépression ? Parce que les médecins sont trois fois moins suivi que les autres.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Bonin Berrebi