C’est l’un des faits divers les plus énigmatiques de ces 15 dernières années. En septembre 1999, le docteur Yves Godard, prend le large avec ses deux enfants pour une sortie en mer le long des cotes bretonnes. Mais la famille ne reviendra jamais. Depuis, les rebondissements se sont enchainés, traces de sang dans la maison, découverte d’ossements, témoins aux quatre coins du monde… Mais rien qui ne permette d’affirmer ce qui est arrivé à la famille caennaise.
 

 

C’était une famille discrète et sans histoire. En cette fin d’été 1999 Yves Godart a 43 ans. Médecin acupuncteur, il exerce dans un cabinet au centre de Caen et vit avec son épouse, Marie-France, dans un pavillon d’une petite commune du Calvados, Juvigny-sur-Seulles. Ils ont deux enfants Marius, 4 ans, et Camille, 6 ans.

Le 31 août, le Dr Godart range impeccablement son cabinet. Il trie ses papiers et annule ses rendez-vous. Passionné de voile, le médecin a eu l’idée soudaine de programmer une croisière de quelques jours entre Saint-Malo et Perros-Guirec. C’est ainsi que, le 1er septembre, la famille monte dans leur combo Volkswagen… direction Saint-Malo. Mais seuls Marius et Camille embarquent avec leur père à bord du Nick, le voilier de 8,90m loué quelques jours plus tôt. Marie-France, elle, ne fait visiblement pas partie de la balade. 

 

1ere enquête : disparition inquiétante

Le lendemain, le bateau est contrôlé dans la baie de Saint-Brieuc. Le comportement “fébrile” du Dr Godard, ainsi que le bateau qui avance au moteur alors que le vent est idéal pour naviguer, interpelle les douaniers, mais sans plus. Entre le 2 et le 5 septembre, le voilier est aperçu plusieurs fois par des promeneurs le long des côtes bretonnes. Mais il est visiblement abandonné. Les gendarmes, eux, repèrent l’annexe pneumatique du voilier. A l’intérieur, un blouson et un chéquier. Nous sommes le 5 septembre, le jour où Yves Godard devait rendre le voilier à Saint-Malo. Or il ne s’y est jamais présenté. Une première enquête est ouverte, pour disparition inquiétante.

A Saint-Malo, les enquêteurs retrouvent dans la voiture du médecin, garée sur un parking du port, des traces de sang, des compresses utilisées et des doses de morphine. Une perquisition est ordonnée au domicile des Godard. Là encore, les gendarmes découvrent des traces de sang, beaucoup de sang, notamment dans la chambre et la salle de bain. Les expertises vont parler : c’est bien le sang de Marie-France. Homicide ? Suicide ? Dispute qui a mal tourné ? Aucune piste n’est alors écartée. Une information judiciaire est ouverte contre le Dr Godard pour homicide involontaire. L’acupuncteur fait désormais l’objet d’un mandat d’arrêt international.

Durant les mois qui suivent, les indices se multiplient. Mais pour les enquêteurs, ces successions de rebondissements rendent l’affaire toujours plus difficile à élucider. Un hôtelier de l’Ile de Man (en Grande-Bretagne) assure avoir hébergé Yves Godard et ses deux enfants entre le 7 et le 14 septembre. Presque au même moment, un plaisancier repêche un gilet de sauvetage appartenant au “Nick” dans la Manche. Quelques mois plus tard, le 17 janvier 2000, un sac contenant papiers et vêtements appartenant aux Godard est repêché au large de l’île de Batz. D’après les experts, ils ont été délibérément jetés là, et ne peuvent pas avoir été déposés par les courants.

 

L’épave introuvable

Les enquêteurs pensent alors que le docteur Godard aurait pris la fuite avec ses enfants, mais l’hypothèse se révèle vite improbable. Le voilier loué est trop petit pour une longue traversée et ne possède pas de pilote automatique. Surtout, un nouveau rebondissement vient donner une autre tournure à l’affaire. Le 6 juin 2000, un chalutier repêche au large d’Erquy des fragments de crâne. Ce sont ceux de Camille, la fille aînée du Dr Godard. Le crâne aurait reposé à cet endroit depuis février 2000. Tout laisse croire, alors, que le bateau a chaviré. Seulement voilà, malgré les nombreuses et minutieuses recherches de la Marine nationale, aucune trace de l’épave du Nick.

Les années suivantes, d’autres documents, cartes de crédit, carte professionnelle, appartenant à Yves Godard sont relâchés par l’océan, notamment en Bretagne. Des témoins affirment avoir vu le médecin en Crète ou à Miami, puis en Afrique du sud. Enfin, le 13 septembre 2006, des ossements sont découverts à 70 km au nord de Roscoff. Il s’agit du fémur et du tibia d’Yves Godard. Là encore, des recherches aux moyens colossaux sont lancées, notamment à l’aide d’un chasseur de mines de la Marine. Mais toujours aucune trace de l’épave.

Accident ou meurtre déguisé en naufrage ? Plus que jamais le mystère reste entier. Surtout, que les indices continuent d’apparaître jetant toujours un peu plus le trouble sur cette affaire. Le 14 décembre 2008, un pêcheur à pied découvre la carte d’assuré social du Dr Godard qui resurgit mystérieusement sur l’Ile des Ebihens (Côtes-d’Armor). Elle est en parfait état.

Si, en 13 ans, on n’a jamais pu localiser le “Nick”, le corps de Marie-France, dont la mort est, elle, une des rares certitudes de l’affaire, reste lui aussi totalement introuvable. Il est presque sûr qu’elle a été tuée. Pourtant, à l’automne 1999, de vastes fouilles sont entreprises dans toute la région, en vain. En janvier 2007, les gendarmes reçoivent une lettre anonyme : le corps se trouverait dans le débarras du cimetière de Lingèvres, près de la résidence des Godard. C’est un radiesthésiste normand qui a avoué être l’auteur de cette lettre. Il a expliqué aux enquêteurs avoir travaillé avec un pendule sur une photo de Mme Godard et une carte routière, ce qui l’avait conduit au cimetière de Lingèvres. Des ossements sont retrouvés, ils n’appartiennent pas à Marie-France Godard.

 

La thèse d’un assassinat crapuleux…

En 2011, c’est un journaliste, Eric Lemasson, qui imagine un tout nouveau scénario. Et si le Dr Godard avait été assassiné par un groupe mafieux ? Selon le journaliste, le médecin normand était membre actif de la confédération de défense des commerçants et des artisans (CDCA), un syndicat qui dénonce les charges qui pèsent sur les libéraux. Seulement, le médecin aurait profité de placements très lucratifs d’une nébuleuse qui agit dans l’ombre de la CDCA. Il aurait ainsi amassé 460 000€. Mais n’a jamais vu l’argent. Plusieurs commerçants auraient été victime de cette escroquerie. Et Yves Godard aurait décidé de tout révéler, et aurait été tué. Pour appuyer sa thèse Eric Lemasson cite un autre assassinat, celui de Christian Poucet, secrétaire national de la CDCA… Mais les éléments de preuve sont insuffisants. Les enquêteurs n’iront pas plus loin.

Car après 13 ans d’enquête, 84 commissions rogatoires, notamment à l’étranger, un dossier d’instruction de 30 tomes… le juge d’instruction chargé du dossier a rendu, samedi 15 septembre 2012, une ordonnance de non-lieu. Dans son réquisitoire, le parquet relève que “la seule hypothèse que l’on peut exclure est que la disparition de la famille s’explique par un simple accident de mer” et, “même si c’est la piste la plus probable, on ne peut affirmer formellement que Yves Godard est l’auteur de l’homicide, c’est un non-lieu faute de charge”. Surement lasse de 13 ans de rebondissements, la famille de Marie-France Godard, partie civile, a décidé de ne pas faire appel.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu

 

[D’après des articles du Point, du Nouvel observateur et de francetvinfo.fr]

 

Sujet initialement publié le 1er août 2013