“Marre d’être fliqués par l’Assurance maladie, laissez-nous travailler.” Cette petite musique, bien connue des médecins, est aussi celle des pharmaciens de l’Hérault. Ils dénoncent le temps passé à régler des litiges, les contrôles statistiques et réclament plus de tolérance. “Une pharmacie contrôlée peut avoir 15 000 euros d’indus à payer, alors qu’elle délivre les traitements prescrits par les médecins. J’ai des confrères à qui c’est arrivé”, déplore Frédéric Abecassis, président du Syndicat des pharmaciens de l’Hérault. Il appelle l’Assurance maladie à aller voir davantage les prescripteurs.

 

Egora.fr : Vous appelez à ne plus recevoir les délégués de l’Assurance maladie. Pourquoi ?

Frédéric Abecassis : C’est un ras-le-bol qui a été ressenti par les pharmaciens durant l’été. On s’est rendu compte qu’on avait un nombre plus important que d’habitude de pharmaciens qui en avaient marre de toutes les contraintes administratives qui nous sont imposées. On a donc décidé d’agir et de communiquer.

Ne pas recevoir les délégués de l’Assurance maladie, ce n’est pas une grosse sanction pour eux. Mais c’est notre manière de pousser un coup de gueule et de leur dire que le temps qu’ils vont gagner à ne pas aller voir trois fois par an les 400 pharmaciens de l’Hérault, qu’ils le mettent à aller voir plus souvent les médecins, ou d’autres professionnels de santé. C’est un ras-le-bol général.

Quelles sont les contraintes administratives qui vous pèsent particulièrement ?

On nous en demande toujours plus. On est la profession qui faisons le plus d’économies. On est fliqués, contrôlés en permanence. On nous donne des courbes, on nous donne notre classement par rapport au voisin pour voir si on substitue bien, si on enregistre bien les numéros RPPS. Si on se trompe sur un numéro de médecin, alors qu’il est mal écrit sur son ordonnance, on est sanctionnés. Si un médecin prescrit un certain nombre de produits hors AMM, et qu’il ne le précise pas, on se retrouve pris entre le marteau et l’enclume, entre le fait de vouloir soigner nos patients et ne pas se mettre en désaccord avec la réglementation de l’Assurance maladie.

On se rend aussi compte que les caisses, alors que la convention est nationale, interprètent les règles chacune à leur façon et qu’en fonction des caisses c’est plus ou moins strict. Dans notre département, par exemple, on ne peut donner qu’un flacon de collyre, dans d’autres départements, on peut en donner deux. Pendant longtemps on ne pouvait donner que quatre paires de bas de contention, alors qu’ailleurs, on en donnait de façon indéfinie. Toutes ces contraintes administratives font que nous passons plus de temps à régler tel ou tel litige plutôt qu’à gérer la relation avec nos patients, paradoxalement à une époque où on veut se recentrer sur le cœur de métier.

Dans l’Hérault, on a reproché à des pharmaciens des ordonnances parce qu’il y avait une erreur sur la date ou le prénom du patient, ou parce qu’il manquait une mention sur l’ordonnance. Quand vous avez un patient qui sort de l’hôpital et qu’il manque quelque chose, mais que le patient a besoin du médicament et que vous n’arrivez pas à joindre le service hospitalier, que faire ? On ne donne pas et c’est non-assistance à personne en danger ? Ou bien on délivre et c’est une épée de Damoclès sur la tête parce que l’Assurance maladie risque de nous le reprocher ? Les pharmaciens souhaiteraient qu’on leur simplifie l’administratif, et qu’on nous laisse faire notre métier.

De quelle manière êtes-vous contrôlés ?

L’Assurance maladie nous envoie régulièrement notre taux de génériques, notre taux de stabilité, notre taux de médecins RPPS. Avec le classement. Vous êtes 140ème sur 400. C’est vert, c’est rouge. Notre métier, c’est de donner les traitements adaptés, prescrits au patient et de le prendre en charge. Ce n’est pas de faire la compétition avec les uns et les autres. On est habitués à avoir des relations étroites avec l’Assurance maladie, mais là, ça devient insupportable.

Le problème, c’est que la plupart des chiffres que l’Assurance maladie nous donne ne sont pas imputables à la pharmacie. Ils sont imputables à l’environnement médical. Si autour de moi j’ai des médecins qui marquent non-substituable, on vient me voir en me disant que mon chiffre des génériques a baissé. Oui, mais je ne suis pas responsable. Allez-voir les médecins. Aujourd’hui, il faut peut-être agir sur des leviers qui permettront de modifier les chiffres. Il faut aller voir les prescripteurs. Quand on a des ordonnances hospitalières et qu’on nous dit qu’on n’a pas saisi le numéro RPPS, il faut qu’ils aillent à l’hôpital voir les chefs de services hospitaliers et leur demander d’inscrire leur RPPS. Il faut qu’on s’en prenne à ceux qui peuvent réellement agir sur ce qu’on est susceptible de nous reprocher.

Concrètement, que demandez-vous ?

Plus de souplesse, une harmonisation, des règles qui seront les mêmes, le respect de la convention, qui est nationale. Il faut qu’on nous simplifie la vie. On donne énormément de renseignements à l’Assurance maladie. Il ne faut pas qu’on soit tenaillés, tiraillés pour remplir les statistiques de telle ou telle caisse. Nous on a des patients en face, pas des numéros de dossier.

Il faut plus de tolérance. Attention, je dis aussi qu’il faut sanctionner les fraudeurs. Il faut qu’on laisse faire leur métier aux pharmaciens qui le font consciencieusement. Et les fraudeurs doivent être contrôlés et sanctionnés. Mais il n’y en a pas tant que ça. Il ne faut pas pénaliser toute une profession parce que quelques-uns ont une activité anormale.

Quelles sont les sanctions que vous risquez ?

Ne pas avoir la ROSP, c’est une chose. Mais si on délivre deux flacons de collyre à une personne âgée qui a un glaucome, et que l’Assurance maladie considère qu’on doit n’en délivrer qu’un même si le médecin en a bien prescrit deux… je risque qu’on me demande de rembourser tout ce que j’ai délivré sur deux ou trois ans alors que ça a bien été utilisé par le patient et prescrit par le médecin. C’est du vécu. Alors que dans d’autres départements, ça passe.

Si demain, une pharmacie lambda est passée au crible par l’Assurance maladie de l’Hérault, elle pourra avoir 10, 15 ou 20 000 euros d’indus à payer. J’ai des confrères à qui c’est arrivé. Alors que ce sont des pharmacies qui travaillent correctement. Ils délivrent les traitements prescrits. Je ne parle pas du pharmacien qui délivre deux boîtes, alors qu’une seule est prescrite. Ce ne sont pas des fraudeurs, ils ont délivré dans l’intérêt du patient et ont suivi la prescription du médecin. C’est une menace permanente.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier