C’est une CSMF forte et sereine car sûre de la légitimité de son refus de signer la convention en dépit d’avancées concrètes qui vient de tenir sa 22e Université d’été sur la presqu’île de Giens. Jean-Paul Ortiz, son Président, a visiblement mis ses pas dans ceux de Claude Maffioli, non seulement politiquement comme il le revendique fièrement mais aussi en sachant recréer à Giens l’atmosphère conviviale, propice aux débats, qui existait naguère à Ramatuelle où s’était tenue la première de ces universités d’été en 1995.

 

Force et sérénité ne s’imposaient pourtant pas naturellement après des assemblées générales qui avaient abouti à des choix contraires, l’UNOF votant majoritairement pour la signature conventionnelle quand l’UMESPE s’y opposait massivement, faisant basculer le vote confédéral en faveur du rejet de la signature conventionnelle. Car cette convention, si elle porte d’évidentes avancées rappelées par JP Ortiz comme la hausse du C, une timide ébauche de hiérarchisation des actes ou la sauvegarde de la protection sociale des médecins libéraux, est profondément clivante, Nicolas Revel, directeur général de la CNAMTS, assumant clairement “la priorité donnée en direction des généralistes”. Pour Jean-Paul Ortiz, cette convention qui s’inscrit dans la continuité et la logique de la loi Santé défendue par Marisol Touraine n’est donc pas à la hauteur des enjeux représentés par le virage ambulatoire qui impose au contraire une réflexion sur l’articulation entre le 1er et le 2e ou le 3e recours. Le caractère clivant qui fait le jeu du politique était donc doublement inacceptable pour la confédération qui échappe néanmoins aux effets délétères qu’un règlement arbitral aurait pu avoir sur de nombreuses spécialités médicales. La CSMF mise désormais sur la prochaine échéance présidentielle et compte bien “soumettre à la question” les prétendants à la présidence de la République.

Le thème de cette 22e Université était l’expertise médicale : est-elle le dernier rempart du médecin ? A l’évidence non à en croire Laurent Alexandre, à la fois médecin et énarque, fondateur du site Doctissimo, aujourd’hui tourné vers la génomique, l’intelligence artificielle et le mouvement transhumaniste qui fait fureur au sein de la Silicon Valley. L’expertise technique ne servira pas de rempart face aux inévitables mutations de l’exercice médical car l’intelligence artificielle fera à terme mieux que le meilleur des médecins pour accomplir la plupart des actes techniques. Les plateformes dans lesquelles investissent massivement, à coups de milliards de dollars, les GAFA, Microsoft ou IBM captent aujourd’hui des milliers de milliards d’informations (que nous leur fournissons gratuitement !) sur lesquelles reposera l’expertise technique de demain. Si bien que le meilleur des radiologues ne pourra pas rivaliser avec une plateforme sachant interpréter un scanner en faisant appel à l’expertise issue de l’analyse de plus de 500.000 images. Les premières spécialités concernées par la montée en puissance de l’intelligence artificielle, à moyen terme, sont donc la radiologie et l’anatomopathologie, mais aucune ne pourra à terme se réfugier derrière le seul rempart de l’expertise technique.

Cette intelligence artificielle dite faible car n’ayant pas conscience d’elle-même au contraire d’une intelligence artificielle forte, relègue au rang de conversation de café du commerce le débat actuel sur la esanté dominé par les applications et autres objets connectés qui, comme le rappelle Laurent Alexandre, relèvent pour la plupart du gadget, terminant dans un placard en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire ! Le vrai défi, c’est bien celui de l’intelligence artificielle qui fait l’objet d’une bataille de géants mondiaux, principalement situés aux Etats-Unis ou en Asie. Uber a désormais pour objectif de se passer de chauffeurs, par exemple avec la Google-Car. Demain, les plateformes aux mains de ces quelques géants mondiaux tenteront-elles d’évincer le médecin ou celui-ci, comme le défend le Pr Guy Vallancien, survivra-t-il grâce à son art de la transgression, sa capacité à sortir des algorithmes pour gérer la complexité de l’humain et intégrer la dimension médicosociale associée à chaque situation médicale ?

L’urgence sera aussi d’encadrer ces évolutions car avec le développement de l’intelligence artificielle, la menace de l’eugénisme n’est jamais loin. Déjà plus d’un Chinois sur deux accepterait des manipulations génétiques permettant d’augmenter le QI de sa descendance ! Un résultat qui n’est pas pour surprendre Laurent Alexandre compte tenu du niveau d’acceptation de l’individu face aux promesses de la technologie. Qui s’insurge aujourd’hui contre ces plateformes mondiales qui se nourrissent de toutes les données que nous produisons dans nos activités quotidiennes ? Avec quel régulateur, forcément transnational, et sur quels principes éthiques, encadrer ces évolutions ?

Des enjeux qui nous élèvent bien au-delà de la loi de santé et du texte conventionnel qui n’intègrent pas la dimension prospective pourtant essentielle comme en témoigne le thème central de cette Université de la CSMF.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Alain Trébucq