Pour attirer les jeunes médecins dans les zones désertifiées, l’Assurance maladie a proposé de leur offrir 50 000 euros. Une somme spectaculaire. Mais derrière l’effet d’image, il faut être conscient que l’incitation financière ne fait pas tout, rappelle le Dr Yann Bourgueil, chercheur en santé publique à l’Irdes. En fait, explique-t-il, tout dépendra de notre capacité à réorganiser le système autour des soins primaires.

 

Egora.fr : Que pensez-vous de la proposition de l’Assurance maladie de donner 50 000 euros sur deux ans aux médecins qui s’installent en zone sous-dotée ?

Dr Yann Bourgueil : Avec ce montant, cette incitation apparaît comme quelque chose de fort. Il y a un effet d’image. Cette mesure n’est pas extrêmement novatrice. Ce qui est nouveau c’est que le montant donne un signal spectaculaire… Le fait que cela s’adresse aux jeunes médecins me paraît une bonne chose et je trouve intéressante l’idée que les médecins déjà installés ne puissent pas bénéficier de cette incitation. Il faut pousser les jeunes médecins à s’installer. Mais ce que dit la littérature internationale sur les motivations des gens à s’installer dans les zones désertifiées, c’est que l’incitation financière seule ne résout pas tout. Cette action seule ne suffira pas. La revalorisation des actes de 20% dans les zones déficitaires n’a pas eu vraiment d’effet.

Cette dotation peut avoir un effet si elle est intégrée dans un ensemble de mesures. L’installation dans ces zones sous-dotées a aussi à voir avec la façon dont on sélectionne les médecins, la façon dont on les forme, il faut faciliter les stages dans ces zones… Cette nouvelle mesure ne sera efficace que si elle s’insère dans une logique territoriale, et mobilisable dans un système qui vise à favoriser les maisons de santé, qui vise à encourager la formation dans ces zones-là… Il y a le cadre de travail, mais aussi le cadre de vie, la possibilité d’avoir des écoles, d’avoir un emploi pour le conjoint…

Ce n’est pas l’Assurance maladie toute seule qui va résoudre tous les problèmes avec cette incitation. Cela relève plus une action au long cours, de relation avec les ARS, les facultés de médecine. La question c’est vraiment la réorganisation et la restructuration des soins primaires avec une vraie politique d’installation des professionnels de santé dans ces zones. Aujourd’hui, les jeunes professionnels cherchent d’abord à s’installer avec d’autres professionnels. Ils ont envie de pouvoir maîtriser leur temps de travail, dans un cadre d’exercice pluri professionnel. Si ça peut inciter les médecins à s’installer dans des maisons de santé, ou si d’autres médecins cherchent des confrères pour travailler avec eux, alors ça peut fonctionner.

Que pensez-vous du déploiement des maisons de santé ? Est-ce une piste pertinente ?

C’est une piste pertinente et absolument nécessaire. Il faut même renforcer de manière importante les maisons de santé. Aujourd’hui, les solutions proposées ne sont pas à la hauteur des enjeux des 15 à 20 ans à venir. J’ai participé à une réunion de l’OMS Europe autour des recommandations de l’OMS pour aller vers des systèmes de soins intégrés. On observe une convergence dans de nombreux pays vers une structuration beaucoup plus importante du système de soins ambulatoire, vers un renforcement de la première ligne. Ça correspond aux besoins actuels et à venir de la population, aux maladies chroniques, à un suivi au long cours dans la proximité… Les progrès en matière de traitement, de matériel beaucoup moins lourd, moins coûteux, sans parler de la télémedecine, permettent de rapprocher les services spécialisés et les patients, et d’aller vers un moindre recours à l’hôpital, ou sur des périodes plus courtes. C’est ce qui se dessine. Cela semble correspondre à la fois aux besoins et aux attentes de la population, et c’est ce qui semble être le plus efficient.

Si on se place dans une perspective à 15 ou 20 ans, cette première ligne doit être renforcée. Dans la plupart des pays européens il y a un accord autour d’équipes de soins primaires, qui peuvent être des maisons de santé, des centres de santé, des formes plus ou moins structurées dans un même lieu. Ce n’est pas le lieu qui est déterminant, c’est vraiment le travail d’équipe. Il faut redéfinir la mission très forte de ces acteurs-là, et notamment des médecins généralistes.

Si on veut préparer le système de soins aux mutations qui l’attendent, il faut aussi que l’on pense à préparer les professionnels à connaître ces modes d’exercice, à se former à ces pratiques. On peut imaginer que dans 15 ans, plus de la moitié des médecins travailleront dans ces formes d’exercice avec d’autres professionnels de santé. Je pense que c’est une voie à renforcer, même si c’est compliqué à mettre en œuvre parce que ça pose des questions non résolues. Quel rôle pour l’hôpital ? Faut-il continuer à accueillir les gens aux urgences ? Quelle permanence des soins ? Les spécialistes libéraux ne doivent-il pas être plus proche des généralistes et venir consulter dans des structures de premier recours ? Ce sont des questions auxquelles nous devons répondre.

A-t-on un retard particulier en France au niveau du travail en équipe, du premier recours, de l’ambulatoire ?

La France est organisée historiquement en secteur ambulatoire sur des principes qui ne sont pas ceux des soins primaires, où la coordination se fait de manière plus ou moins formelle, avec beaucoup de spécialistes. On a aussi un pôle hospitalier très puissant et très performant. On a choisi l’Assurance maladie universelle, avec des garanties d’accès aux soins pour tout le monde. On a un système historiquement très généreux, avec une offre très abondante. A ce titre, on est moins organisés que d’autres systèmes, comme le système anglais, suédois, finlandais, espagnol… De ce point de vue, on peut considérer que l’on a une forme de retard. Mais je pense que ce retard, paradoxalement, nous met dans une position intéressante pour nous adapter pour l’avenir. Les pays où les généralistes consultent en ambulatoire et où les spécialistes ne sont qu’à l’hôpital se posent vraiment la question de mettre en place des consultations de spécialistes en cabinet. Or puisqu’on a déjà beaucoup de spécialistes en ville, on pourrait en profiter pour réorganiser la collaboration entre les différents acteurs et se mettre en situation d’offrir ces soins. Je ne pense pas que l’on soit en retard, je pense qu’on a des opportunités intéressantes. Mais on a un vrai chantier devant nous. Il faut organiser tout ça. Redéfinir les places et les rôles de chacun, peut être aussi les rémunérations, il y a peut-être des écarts de rémunérations qui ne se justifient pas aujourd’hui. On ne prend pas assez en compte les fonctions de coordination. Tout cela doit être redéfini progressivement. On peut potentiellement avoir dans 20 ans un système très performant que les autres pays nous envieront. Mais il faut se retrousser les manches et se mettre au travail.

Les médecins sont-ils prêts à cette évolution ?

Il est difficile de parler des médecins en général. Manifestement certains le sont. Il y a des médecins qui voient les opportunités, qui ont envie de répondre aux problèmes auxquels ils sont confrontés. Il y a certainement une certaine différence entre les jeunes et les anciens. Les jeunes ont une représentation différente de leur métier, ils sont moins “vocationnels”, dévoués. Ils veulent avoir des horaires, et pour ça, ils sont prêts à entrer dans des logiques d’organisation. A se remplacer, à accepter que d’autres médecins voient leurs patients, à envisager que d’autres professionnels interviennent à côté d’eux pour faire certaines choses auxquelles ils sont mieux formés, comme l’éducation thérapeutique par exemple. Il y a vraiment des gens qui sont prêts à ça.

Il y a une opportunité, liée au fait qu’il y a moins de médecins, donc qu’il est plus facile d’envisager de s’organiser quand il y a une demande forte. On a moins d’inquiétudes sur les revenus tirés de son activité. On ne peut plus dire “les” médecins, mais considérer qu’il y a “des” médecins qui sont prêts à travailler autrement. Il y a des forces de mouvement. Il faut aider ceux qui ont envie de bouger, de changer. La profession doit avoir un projet de fond pour le futur. Je suis assez optimiste.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier