Député de Haute-Garonne (PS) et médecin, le Dr Gérard Bapt vient de lancer une proposition pour lutter contre la désertification médicale. Il souhaite augmenter le numerus clausus de 10% et flécher les “reçus-collés” de première année vers la médecine générale dans des zones sous-dotées. En échange, ils devront, sur la base du volontariat, s’engager sur 8 ans. Pour le député, cela permettrait d’éviter les départs des déçus de la PACES vers les facs de médecine à l’étranger.

 



Egora.fr : En quoi consiste votre proposition de lutte contre la désertification médicale ?

Dr Gérard Bapt : Tout d’abord, il faut souligner qu’il s’agit d’un projet à moyen terme, puisqu’il faudra attendre le temps d’un cursus d’études. Ma proposition vise à contourner le recours à la coercition. Je ne reviens donc pas sur la liberté d’installation.

Je propose d’augmenter le numerus clausus de 10% (cette proportion pourrait être adaptée en fonction des besoins) de manière à ce que les étudiants reçus-collés puissent passer en deuxième année moyennant un engagement d’exercice de la médecine générale dans une zone fléchée par les ARS pendant 8 ans. Ainsi, les reçus-collés, qui ont souvent des notes avoisinant les 13 ou 14/20 n’auraient pas à abandonner leur projet de carrière médicale qui est souvent une vocation, ni à aller s’exiler en Belgique ou en Roumanie pour poursuivre leurs études. D’autant que ces facultés étrangères ont souvent un niveau inférieur à celui de la France.

Quelles seraient les sanctions pour ceux qui ne tiendraient pas leur engagement de 8 ans ?

Contrairement au contrat d’engagement de service public (CESP), ce contrat ne serait lié à aucune bourse publique d’étude. La sanction au renoncement ne serait donc pas financière. En revanche, on pourrait imaginer que pendant la durée restante de l’engagement non respecté, il y aurait un refus de conventionnement. Il pourrait aussi y avoir un système de dérogation avec des passerelles menant vers d’autres spécialités ou zones déficitaires.

Ce contrat ne serait basé que sur le volontariat…

Oui effectivement. Si les étudiants acceptent d’y souscrire pour avoir la chance de passer en deuxième année, ils devront s’engager.

Comment faire une sélection parmi les reçus-collés qui seraient intéressés par le contrat ?

La sélection se ferait en fonction du nombre de points. On restera donc sur la notion de concours, mais parmi les reçus-collés, ce qui permettra d’éviter la critique de filière au rabais. Il n’y aura pas de dévaluation de la qualité de la formation par rapport à un cursus normal puisque les étudiants bénéficieront des mêmes cours que les autres. On ne peut pas en dire autant de ceux qui partent à Cluj en Roumanie…

D’ailleurs, tout le monde ne peux pas se permettre d’aller à l’étranger. Ma proposition est également socialement intéressante. Un récent rapport de la DREES a démontré que les enfants de cadres ont deux fois et demie plus de chances de réussir médecine qu’un enfant d’ouvrier. Mais il n’y a pas que l’incitation financière qui fonctionne. Bien que le contrat d’engagement de service public soit intéressant, un tiers des postes n’est pas pourvus malgré les 1200 euros par mois garantis pendant toute la durée des études.

Si les jeunes n’adhèrent pas au CESP, c’est surtout parce qu’ils veulent conserver leur liberté d’installation…

Ma proposition leur enlève également la liberté pendant 8 ans, mais le gain est bien supérieur à celui du CESP. Cela permet à des élèves de poursuivre leur vocation vers une carrière de médecin ou les dispense de devoir aller à l’étranger pour le faire.

Pour cette proposition, vous vous êtes inspiré du système de santé des armées ?

En effet, le système de santé des armées prend en charge les études mais implique un devoir de service. Mais c’est également le cas pour les enseignants qui ne choisissent pas leur affectation.

Ne pas choisir son lieu d’exercice est le lot de nombreuses professions. Pourquoi cela ne pose-t-il problème que chez les médecins ?

C’est effectivement la difficulté à laquelle on se heurte. Les principes de la médecine libérale sont la liberté de prescription, d’installation et l’indépendance. C’est cela qui pose problème chez les médecins. La liberté d’installation est culturellement inscrite dans l’acte de naissance de la médecine libérale française.

La solution ne serait-elle pas simplement d’augmenter le numerus clausus ?

Le fait est que l’on ne manque pas vraiment de médecins. D’ailleurs, il y a même 25% de médecins d’origine européenne qui sont inscrits à l’installation. Le problème vient de la répartition. Il y a aussi un souci d’effectif dans quelques spécialités, et la médecine générale n’y échappe pas. Lorsque l’on voit que 70% des généralistes auraient préféré faire autre chose… Lorsque l’on voit que les deux-tiers des étudiants souhaitent avoir une activitée salariée et non libérale… On comprend qu’il y a une crise profonde de la médecine générale. Dans ma circonscription, et ce n’est pas le Larzac, de nombreuses communes situées en troisième et quatrième couronne toulousaine ne parviennent plus à trouver un médecin.

A ma proposition devrait s’ajouter des mesures à court terme pour augmenter l’attractivité de la médecine générale, à savoir l’amélioration des conditions d’exercice, de la rémunération ou encore de l’aide au fonctionnement. Il faut aussi mettre plus de professeurs et de chefs de clinique en médecine générale. Il faut mieux traiter les maîtres de stage. Tout cela pourrait se faire rapidement. Il y a, à l’heure actuelle, 15 fois plus de PU-PH en biologie qu’en médecine générale. C’est inadmissible.

Vos propositions sur le court terme ne sont pas nouvelles. Pourtant il ne se passe rien…

Oui car le problème est qu’en France, on a la mauvaise habitude de résoudre les problèmes une fois que l’on est au bord du précipice. Je crois qu’on y est arrivé. Au moment où l’on va charger le médecin généraliste d’être le pilote du parcours de soins et qu’on lui donne plus de responsabilités, on va se retrouver devant l’impossibilité de mettre en œuvre cette loi puisque l’on n’aura plus de médecins généralistes.

Je veux insister sur la crise extraordinaire qui touche la médecine générale et je relaie le message porté par les syndicats.

Dans quel cadre comptez-vous proposer votre projet ?

Je lance cette proposition au débat pour donner suite à la loi de santé, dans le cadre de la conférence nationale de santé qui doit unir la santé, l’éducation supérieure et la recherche (ESR). L’intérêt de cette conférence, ça n’est pas simplement d’être le service après-vente de la loi même si elle en aura bien besoin, c’est de réunir la santé et l’ESR parce qu’il y a des problèmes de formation à prendre absolument en compte. La loi de santé serait inaboutie si elle n’était pas suivie par une prise en compte du domaine de l’enseignement et de la recherche.

 

La proposition de Gérard Bapt

1 – Il s’agit de créer une fraction à hauteur de 10 % du numerus clausus de la filière médecine destinée au recrutement d’une filière de formation à la médecine générale. Pour rendre la réforme attractive, ces 10% correspondent à une augmentation du numerus clausus, en adéquation avec les besoins régionaux et en concertation avec les universités et facultés pour la meilleure adaptation possible aux capacités de formation.

2 – Cette nouvelle filière serait sélectionnée sur la base des mêmes épreuves que la filière actuelle, mais elle ferait l’objet d’un choix volontaire et d’un engagement, du même type que celui des médecins militaires, vis-à-vis de l’ARS. Pour éviter tout contournement, il n’est pas souhaitable de prévoir des ruptures de contrats par remboursement, l’autorisation d’exercer la médecine dans un autre cadre nécessitant que le contrat initial soit préalablement honoré. Il n’est pas nécessaire de prévoir une rémunération spécifique des étudiants concernés, la motivation centrale de leur choix étant la capacité de poursuivre des études médicales.

3 – Ce choix serait ouvert aux étudiants échouant pour la 1ère ou la 2ème fois. Chaque jury fixerait, lors de délibération, la moyenne minimale permettant aux étudiants de se voir ouvert ce choix.

4 – A l’issue de leur 6ème année, les étudiant(e)s retenu(e)s passeraient les Epreuves Classantes Nationales. Ils feraient l’objet d’un classement régional et effectueraient leur choix de spécialité et d’affectation sur un contingent de postes affichés pour la médecine générale dans la région de rattachement, de manière à couvrir à terme les besoins répartis par les ARS.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin