Médecin à l’étranger (1/6) – Cet été Egora.fr vous propose une série d’interviews de médecins français ayant choisi d’exercer à l’étranger. Le docteur Olivier Couret est généraliste, jeune installé en Suisse. A 57 ans, désabusé par un système de santé français incohérent et par des lourdeurs fiscales insupportables, il a tout plaqué pour s’installer à Lausanne. Depuis, il se plaît dans un pays où, dit-il, son statut de médecin et ses compétences sont reconnues et valorisées.

Combien de temps avez-vous exercé en France ?

J’ai exercé 27 ans en France, en médecine générale libérale. J’étais en zone semi-rurale, en Ardèche, à côté de Valence. Je suis en Suisse depuis un an. Je me suis installé à 30 ans, donc j’ai encore 13 ans faire. J’aurais eu 4 ans à faire, j’aurai tenu. Mais là, je me suis dit que j’allais y laisser ma santé.

Qu’est-ce qui vous a poussé à partir ?

Ce qui m’a fait fuir, c’est le système médical français, qui se moque des médecins. Quel que soit le gouvernement en place, la volonté, c’est de fonctionnariser la médecine. On déresponsabilise les patients, on leur donne de plus en plus de droits avec le tiers-payant, les dépenses de santé augmentent… Et après il leur faut un coupable. Aujourd’hui, c’est le médecin.

Il y a aussi les contraintes administratives, les contraintes fiscales, tellement étouffantes qu’on n’a tout simplement plus envie d’exercer ce métier en France. Quand j’ai commencé j’avais un taux d’imposition et de charges qui me laissait globalement 60% de ce que je gagnais. Et en 27 ans, la marge s’est réduite autour de 40%. En fait c’est assez sournois comme système, parce que ça se dégrade progressivement. Et entre le moment où vous avez commencé et le moment où ça devient irrespirable, vous avez construit une maison, vous avez des amis…

Les médecins payent de plus en plus. Ils trouvent ça injuste vu le nombre d’heures qu’ils font, vu la reconnaissance qu’ont les médecins aujourd’hui en France, mais comme ils sont installés, c’est dur de partir. Moi, j’ai refusé de cautionner ce système qui va à sa perte.

Pourquoi avoir choisi la Suisse ?

Au départ, je ne voulais pas aller travailler en Suisse. Je voulais changer de vie et aller travailler en montagne. Je voulais faire de la médecine de montagne, de la radio, de la traumato. Et puis ma femme, qui est rhumato, a regardé sur le site de la Société française de rhumatologie, si quelqu’un cherchait un associé. Et elle a trouvé un Suisse. J’ai été faire un saut là-bas pour voir les gens travailler. Ils nous ont accueilli, ils nous ont expliqué… Et quand on a vu comment ça fonctionnait, on s’est dit qu’on ne pouvait pas laisser passer cette chance. Ce n’était pas possible.

Qu’est-ce qui vous a séduit ?

En Suisse, les médecins ont un vrai statut. Ils sont reconnus, ils ont une vraie rémunération, qui correspond à l’investissement, au risque pris, à leur compétence. Quand vous faites une consultation de médecine générale, vous êtes payé entre 100 et 200 euros la consultation, suivant ce que vous faites. Ça n’a rien à voir avec la France. Bien sûr vous payez des impôts, mais vous n’êtes pas matraqué de charges. Alors qu’en France, quand vous avez bien travaillé, vous êtes puni par l’impôt.

Aujourd’hui, je suis salarié en Suisse, je fais de la médecine d’urgence. Ma femme est en libéral, elle garde 50% de ce qu’elle gagne. Mais il faut dire qu’on est à Lausanne. C’est comme si vous vouliez vous installer dans le 16ème arrondissement à Paris.

Quelles différences observez-vous dans votre exercice ?

Les gens sont courtois, gentils, reconnaissants, calmes, bien éduqués. La grande différence, c’est qu’en Suisse les gens savent rester à leur place. Quand vous dites quelque chose en tant que médecin, ils ne commencent pas à vous expliquer ce qu’il faudrait faire. Les Français, ça ne les dérange pas de venir vous agacer avec des arguments qui n’en sont pas. N’importe qui s’autorise à penser médecine. En Suisse, la personne qui n’y connaît rien à au moins le mérite d’écouter. Du coup, vous arrivez en consultation sans être stressé. Vous savez que les gens vont poser des questions, ce qui est bien, mais ils ne vont pas contester en permanence ce que vous dites.

Je compte finir ma carrière professionnelle en Suisse. Ici, on a cette reconnaissance qui est bien et qui nous stabilise sur le plan psychologique. Alors, oui, on gagne mieux notre vie. Mais ce n’est pas fondamentalement ça le problème, même s’il ne me restait que 40% en France, je gagnais déjà bien ma vie.

On n’a plus envie de revenir travailler en France. Par contre, on viendra y passer nos vacances. Parce qu’on a des amis, et que ça reste un très beau pays. Une bonne moitié de la population est très compétente, volontaire… Et pour la retraite on verra bien ce que deviendra la France. Soit on vire les incompétents, on retrouve un peu de dignité, avec un pays qui fonctionne… Soit on perd complètement notre dignité, et dans ce cas, je crois que je finirai mes jours à l’étranger. Je n’ai pas envie d’être assimilé à tous ces espèces de guignols qui nous fatiguent.

Source : www.egora.fr

Auteur : Fanny Napolier