Pour la majorité des interlocuteurs interrogés par egora, dans la foulée de l’annonce de la composition du nouveau gouvernement, c’est l’incompréhension. Aucun ministre de la Santé ne figure en effet dans la liste reconduisant Marisol Touraine aux Affaires sociales. Alors que le Président de la République avait fait de la santé une priorité au soir des élections et que l’on attend, la semaine prochaine, la liste des secrétaires d’Etat, ces responsables s’interrogent : boulette ou changement de ligne politique ?

 

“Contrairement à l’annonce du Président de la République qui, dans son discours du 30 mars, s’engageait à faire de la santé l’une de ses priorités nationales, l’Ordre des médecins, surpris, constate qu’aucun Ministre de la Santé de plein exercice n’a été nommé, Mme Marisol Touraine ayant été reconduite en tant que Ministre des Affaires Sociales sans que la santé ne soit citée”,a immédiatement commenté le Conseil national de l’Ordre des médecins. Le CNOM réclame évidemment un ministère de plein exercice et ne peut espérer qu’une “réparation de cet ‘oubli“.

La surprise de cette omission caractérise les réactions à chaud, de la quasi-totalité des responsables de syndicats médicaux. Pour le Dr. Jean-Paul Ortiz, nouveau président de la CSMF par exemple, il est “étonnant que la santé n’apparaisse nulle part. Il n’y a pas de ministre de la santé !” commente-t-il, en évoquant une “sensation de vide”, après les annonces du Chef de l’Etat évoquant tout l’inverse, au soir du deuxième tour des législatives.

 

Touraine a fait grincer bien des dents

Le contexte de ce remaniement casse-tête pour le nouveau Premier ministre, semble en effet pour le moins complexe. Depuis ses 22 mois avenue de Ségur, Marisol Touraine a fait grincer bien des dents à commencer par celles du prédécesseur de Manuel Valls à Matignon, Jean-Marc Ayrault. Divergences de vues sur le pacte santé solidarité, rapidement recouvert par la stratégie nationale de santé présentée avec tambours et trompettes par le Premier ministre ; gros froncements de sourcils à Matignon concernant l’accord sur la réforme des honoraires libres, dans le cadre de l’avenant N° 8 à la convention médicale, jugé trop laxiste et avantageux pour les praticiens ; lenteurs dans la mise en place des réformes, invisibles pour le commun des mortels, peut-être perceptibles à la fin du quinquennat… Mais grosse réussite en matière de Sécurité sociale, la branche maladie absorbant ses déficits plus vite que prévu, tandis que la réforme des retraites, que l’on disait explosive, est passée comme une lettre à la poste. Face à ce bilan contrasté, la ministre poids lourd était donnée partante des Affaires sociales et de la Santé, exfiltrée dans un autre ministère.

En définitive, elle reste avenue de Ségur, mais sur le perron de l’Elysée, le secrétaire général ne lui a attribué que le ministère des Affaires sociales, sans y accoler la santé. De quoi faire gloser.

“Elle gardera le secteur de la santé, et aura peut-être un secrétaire d’Etat pour la seconder”, croit savoir Jean-Paul Ortiz, qui a interrogé ses sources. Le Dr. Claude Leicher, le président de MG France est plus affirmatif : Marisol Touraine conserve l’intégralité de ses prérogatives, même s’il n’est pas “habituel” que le terme de la santé disparaisse de cette manière de l’intitulé du ministère, après un remaniement. Pour lui, comme pour le Dr. Ortiz, ce n’est qu’à la lecture du journal officiel, et l’étude des décrets d’attribution que l’on saura vraiment quels sont les champs d’action de la ministre. Le discours de politique général de Manuel Valls sera prononcé mardi et les secrétaires d’Etat, nommés la semaine prochaine.

 

Il faut attendre le discours de politique générale

Selon le découpage de ses prérogatives qui se discute maintenant, le gros ministère de Michel Sapin peut en effet, vouloir empiéter sur les plates-bandes de Marisol Touraine. Jusqu’ici, la ministre avait avec le ministère du Budget, la haute main sur la Sécurité sociale. Mais on a vu, par le passé, un secrétariat d’Etat de la sécurité sociale prendre place dans un gouvernement, on a vu aussi un secrétariat d’Etat à la Santé (Bernard Kouchner, Nora Berra notamment), qui n’avait pas la tutelle sur la Sécu, laquelle était dévolue aux Affaires sociales. Michel Sapin, à la tête d’un ministère des Finances et Comptes publics, voudra-t-il avoir la main sur la Sécurité sociale, puisque le ministère du Budget n’existe plus ? Autant de questions en forme de rapports de force, qui peuvent expliquer le flottement actuel. “Il serait illogique de créer un secrétariat d’Etat à la santé alors qu’on nous parle d’un gouvernement resserré”, commente le Dr. Xavier Gouyou-Beauchamp, secrétaire général des chirurgiens UCDF du BLOC. ‘’Il n’y aura aucune différence entre Touraine 1 et Touraine 2. C’est un non évènement”.

“Il faut attendre le discours de politique générale de Manuel Valls”, tranche le Dr. Jean-Paul Hamon, le président de la FMF. Avec la disparition de la Santé dans l’intitulé du ministère et le maintien de Marisol Touraine aux Affaires sociales, le président du syndicat avoue avoir “reçu un coup sur la tête”, car cette reconduction signerait la poursuite des années “d’immobilisme et de dogmatisme” qui viennent de caractériser son passage avenue de Ségur.

 

“Nous restons sur notre faim”

“Il faut passer aux choses sérieuses, accélérer le rythme des réformes car sur le terrain, la population ne voit pas de changement en matière d’accès aux soins”,concède pour d’autres raisons, le Dr Leicher. Selon son analyse, l’avenant N° 8 réformant les dépassements d’honoraires est un “quasi échec. Les dépassements ont plus augmenté en volume en 2013 qu’en 2012. Il est surprenant que la CNAM tienne un discours de quasi stabilisation, c’est contraire à la réalité, ce qui a été fait se met en place trop lentement alors que tous les indicateurs sont au rouge” accuse-t-il.

Le président de MG France, farouche défenseur du secteur 1, estime que les Français ressentent fortement les risques de dégradation du système de santé, et exigent des résultats. Pour lui, le fait que la ministre reste en poste et que ses conseillers en fassent de même, représente un gage de gain de temps. Avis partagé par le Dr. Ortiz, qui souligne au passage qu’en tant qu’acteur respectueux de la démocratie, il n’a pas à “choisir ses interlocuteurs”.

“Nous restons sur notre faim. Il n’y a plus de santé dans l’intitulé du ministère. Pour l’opinion publique, cela signifie qu’il n’y a plus de ministre de la santé, cela nous inquiète alors qu’on vient de nous parler de priorité”, résume Roger Rua, les président du SML. “Nous attendions un nouveau ministre pour lui faire part de nos priorité notamment en matière de prévention, mais nous n’avons même plus de ministre. C’est très inquiétant”, conclut-il.

Une note d’optimisme néanmoins, dans ce concert d’inquiétude. Elle est donnée par l’ISNAR, qui se félicite des “relations de confiance tissées avec la ministre”. L’intersyndicale nationale autonome représentative des internes en médecine générale espère poursuivre les travaux en cours “dans le même état d’esprit”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne