2,5 milliards d’économies, c’est l’objectif de la Caisse nationale d’Assurance maladie pour 2014. Elle souhaite tenir l’ONDAM à 2,4%. Baisses de prix de médicaments et de tarifs médicaux, renforcement du contrôle des prescriptions sont d’ores et déjà programmés. Jacques Bichot, économiste spécialisé dans la protection sociale décrypte ce plan d’économie pour Egora.fr.

 

Egora : Pensez-vous que ce plan d’économie soit atteignable ?

Jacques Bichot : Certainement. On peut toujours arriver à faire 2,5 milliards d’économies sur un budget de plus de 150 milliards. En revanche, savoir si les mesures qui sont préconisées aboutiront à ces 2,5 milliards d’euros, c’est une question à laquelle je suis incapable de répondre. C’est extrêmement technique. Prenons par exemple l’alignement du prix du Crestor sur celui de ses génériques. L’économie dégagée pourrait s’élever, dit-on, à 250 millions d’euros. Je veux bien mais je n’ai aucun moyen de vérifier ce genre d’opération. Je pense que cette estimation se fait un peu au doigt mouillé. Pour arriver à faire les économies en question, on est obligé de procéder de manière un peu expérimentale, par tâtonnement. On prend des mesures qui, on l’espère, vont produire des économies substantielles. Si cela marche, c’est parfait. Si ça n’est pas suffisant, il faut en remettre une couche.

On débouche alors sur le problème qui me préoccupe le plus lorsque je vois ce genre de plan, c’est la lourdeur du dispositif. Le fait que ce ne soit pas l’assurance maladie elle-même qui décide mais les pouvoirs publics. Cela est mauvais à deux titres. D’abord concernant l’efficacité du dispositif, c’est-à-dire la possibilité de pouvoir rapidement le modifier. Cela me dérange également sur le principe même. On confond le rôle de l’Etat et celui de la Cnam. L’assurance maladie est phagocytée par l’Etat. Elle n’est pas laissée en position de responsabilité. Il me semble que l’Etat devrait dire “il faut économiser deux milliards et demi cette année, débrouillez vous !”. Dans ces conditions, la Cnam ferait son boulot.

 

L’assurance maladie n’a plus de rôle, le ministère est donc le seul à avoir les cartes en main ?

C’est ce que je pense. C’est extrêmement démobilisant pour les responsables de l’assurance maladie. On obtiendrait de meilleurs résultats en laissant la prise de décision technique au niveau des services de la Cnam et non à ceux du ministère.

 

Ce plan préconise de contrôler les prescriptions et notamment les transports médicaux, qu’en pensez-vous ?

Les transports médicaux sont effectivement un problème important. Ca fait longtemps qu’on voit sortir des études sur l’inflation des coûts dans ce domaine. C’est une bonne chose de s’atteler à ce dossier. Cela va passer par des mesures de bon sens, peut être un peu éloignées des capacités de décision du ministère et de la Cnam. Prenons l’exemple des dialyses qui sont un poste très important de dépense de transports. Les patients qui vont se faire dialyser ont le droit de se faire transporter en taxi ou en ambulance. Beaucoup d’entre eux seraient parfaitement capables de prendre leur voiture. Il y a simplement un souci, c’est le lieu où se garer. Je pense que dans bien des cas, les problèmes à résoudre sont extrêmement concrets auxquels ni l’assurance maladie, ni le ministère ne peuvent apporter une solution.

Cette question des transports médicaux est typique de la nécessité de respecter le principe de subsidiarité, c’est-à-dire de prendre les bonnes décisions, aux bons niveaux et donc plus souvent assez proche du terrain.

 

Dans le contrôle des prescriptions, n’y aurait-il pas une économie à faire sur les actes inutiles, dont on a beaucoup entendu parler ?

Oui d’ailleurs il me semble que ce levier a été actionné dans ce plan d’économies, notamment ce qui concerne les opérations chirurgicales. On sait qu’en France, il y a encore trop d’appendicectomie, ou d’accouchements par césarienne. L’opération de la prostate est également pointée du doigt.

 

Il s’agit là de médecine hospitalière, que peuvent faire les médecins de ville ?

Pour les médecins libéraux, on retombe sur le problème, qui a fait couler tellement d’encre, des dépassements d’honoraires. Mais il faut rappeler que les dépassements d’honoraires ne pèsent pas sur les comptes de la sécurité sociale. On peut même dire qu’ils la soulagent puisque les médecins du secteur 2 payent d’avantage de cotisations sociales et la Cnam participe moins à leur assurance de responsabilité civile professionnelle (RCP). Ils pèsent plutôt sur les mutuelles. Ceci étant, il y a quand même des vases communicants. Si la sécu rembourse moins, les complémentaires sont d’avantages sollicitées. Cela signifie cotisations complémentaires pour les patients…

Il n’est pas certain qu’il faille faire des économies sur les actes médicaux puisque, inversement, certains mériteraient d’être revalorisés. Les obstétriciens, les chirurgiens ont beaucoup d’actes payés de manière insuffisante, c’est pour cela que tous ceux qui le peuvent s’inscrivent en secteur 2. Je pense qu’on aurait tout intérêt à revaloriser correctement les actes.

 

Selon vous quels seraient les leviers d’économie prioritaires ?

La grande économie à faire serait l’intégration de l’assurance maladie et des complémentaires santé. Les Allemands, et c’est d’ailleurs aussi le cas en Alsace, font de grosses économies sur les frais de gestion de l’assurance maladie parce qu’il n’y a pas besoin d’avoir une complémentaire santé. Il suffit de choisir sa caisse maladie, qui offre en plus de la couverture de base, un certain nombre de couvertures en plus qui jouent le rôle des complémentaires. Si on s’orientait dans ce sens là en France, le fait de n’avoir qu’un seul échelon au lieu de deux, diminuerait considérablement les frais de gestion. Ces 2,5 milliards, que l’on s’efforce de trouver, seraient précisément l’économie que l’on pourrait faire sur les coûts de gestion. En France nous sommes spécialistes des doublons qui ne servent à rien. C’est le cas pour l’assurance maladie ou encore pour l’assurance vieillesse où l’on pourrait aussi économiser 3 milliards.

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin