Un mois après le lancement officiel de la télémédecine (le 1er janvier), les sociétés commerciales s’engouffrent dans la brèche, en jouant sur une certaine « confusion des genres », selon l’Ordre des médecins.  Wengo, spécialisé dans le conseil d’experts par téléphone (droit, fiscalité, soutien scolaire, voyance…), lance Wengo santé,  le « premier service d’information médicale par téléphone disponible 24h/24, 7 jours/7 », développé en partenariat avec la société H2AD, qui dispose d’une plateforme médicalisée (permanenciers régulateurs, médecins régulateurs et infirmières). Coût de la prestation pour le « patient » : 2,50 euros par minute. Après s’être identifié sur le site, l’internaute indique ses coordonnées bancaires et son numéro de téléphone sur lequel il souhaite être rappelé pour s’entretenir avec un médecin qu’il aura sélectionné au vu des quelques fiches de présentation disponibles. Cinq médecins, inscrits au Tableau de l’Ordre,  sont actuellement identifiés, avec leur nom et photo, ainsi que leur expérience en médecine hospitalière ou libérale. 

En se référant au récent décret du 19 octobre 2010, selon lequel « l’information médicale délivrée par les médecins de la plateforme ne peut se substituer ni à une consultation, ni à un diagnostic, ni à une prescription médicale », la société Wengo  assure que son service s’inscrit dans ce cadre légal et qu’il est conforme aux préconisations du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom). Une affirmation qui crée une « ambigüité tout à fait dommageable », selon Jacques Lucas, vice-président du Cnom, chargé des systèmes d’information en santé. « En clair, ils disent que leur service est conforme au décret de télémédecine précisément parce qu’ils n’en font pas », explique-t-il. Selon lui, le service correspond à des conseils médicaux en ligne à l’image du centre de télé-conseil qui existe à Bâle (Suisse), mais pas du tout à de la télémédecine, dont l’objectif est de donner un diagnostic suivi d’une prescription. Le Dr Lucas rappelle que la mise en œuvre d’un programme de télémédecine doit obéir soit à un programme national défini par le ministère, soit à des contrats avec les Agences régionales de santé.  « Il y a confusion des genres, déplore-t-il. C’est tout simplement une plate-forme payante d’information médicale. Mais les médecins généralistes ne doivent pas s’alarmer de ce qui pourrait leur apparaître comme de la concurrence. Entre le contact virtuel et le contact réel, il faut relativiser ».

 « Ce n’est pas très étonnant, il y a de l’argent à se faire mais je trouve cela ubuesque », réagit Claude Leicher, président du syndicat de généralistes MG-France, circonspect mais pas vraiment inquiet pour les médecins généralistes. « Est-ce que les consommateurs de santé se laisseront prendre ? Il faudra aussi pouvoir étudier le rapport e entre le coût et le service rendu, qui ne sera que du conseil », dit-il. Pour avoir eu une expérience importante en régulation médicale, le leader de MG-France estime qu’une telle conversation téléphonique-  doit durer au minimum 10 à 15 minutes. Soit 25 à 37,5 euros la demande d’information médicale.

« Tout ce qui est excessif devient insignifiant », estime Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (Csmf). « A quoi se référent exactement ces conseils ? Jusqu’à preuve du contraire, la médecine s’exerce dans le cadre d’un colloque singulier et doit relever de deux êtres qui se connaissent. Cela peut de loin ressembler à de la régulation médicale, bien que l’on soit en dehors d’un cadre d’urgence, sauf que c’est ici dans un cadre totalement déréglementé. C’est au-delà de la médecine foraine ! »

Pour Jean-Paul Hamon, co-président d’Union Généraliste, le procédé  n’est pas sécurisant. « Autant, en tant que médecin traitant, je peux donner un conseil par téléphone car je connais bien mon patient et sa façon de réagir, autant donner des conseils en tant que régulateur Samu est parfois limite au niveau de la sécurité. On n’est jamais trop prudents quand il s’agit de donner des conseils à des gens que l’on ne connaît pas.  J’ai déjà vu des personnes attendre tranquillement ¾ d’heures dans la salle d’attente alors qu’ils avaient une péritonite, une appendicite perforée ou avec un infarctus », raconte-t-il. Pour lui, ce lancement d’un service commercial est « l’attestation de la dérive de ce qu’est devenu l’exercice médical ». Il soupire : « La santé est un produit d’appel. On est devenus des prestataires de service ».

Selon le décret du 19 octobre 2010, sont considérés  comme des actes de télémédecine : la téléconsultation, qui a pour objet de permettre à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient, la téléexpertise, qui doit permettre à un professionnel médical de solliciter à distance l’avis d’un ou plusieurs professionnels médicaux, la télésurveillance médicale qui a pour objet de permettre à un professionnel médical d’interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical d’un patient et, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à la prise en charge de ce patient, la téléassistance médicale qui doit permettre à un professionnel médical d’assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation de l’acte.Un sondage du groupe Pasteur Mutualité, effectué en octobre et destiné à  mesurer l’intérêt des Français pour la télémédecine,  révèle que 17 % des personnes sondées seulement  se déclaraient  prêtes à utiliser Internet pour consulter un médecin tandis qu’à l’inverse, 81 % d’entre elles ne s’y sentent pas prêtes.